Prise de décision horizontale (non-hiérarchique)
Cette page a été créée afin de répondre à des questions de personnes militantes intéressées à prendre des décisions de groupe d'une façon davantage non-hiérarchique.
Hiérarchie
Le dictionnaire Usito définit la hiérarchie comme une « Organisation sociale établissant des rapports de subordination et des degrés gradués de pouvoirs, de situations et de responsabilités.» [1]
Ainsi, une hiérarchie existe notamment quand certains groupes ou individus ont davantage de pouvoir. Plus le pouvoir est centralisé, moins il est distribué, plus il y a de hiérarchie.
Cette page vient répondre à des demandes de groupes qui souhaitenet tendre vers la non-hiérarchie.
Exemple de hiérarchie
Hiérarchie raciale |
« Classement des différentes races/groupes ethniques sur la base de caractéristiques physiques et perçues. La hiérarchie raciale n'est pas une opposition binaire entre Blancs et non-Blancs, mais plutôt un système complexe dans lequel les groupes occupent différents échelons du pouvoir politique, économique et culturel. L'idéologie raciste repose sur le maintien des hiérarchies, même au sein des groupes raciaux. » -Race Forward (traduction libre) |
Hiérarchie structurelle |
Un organigramme d'entreprise avec des boss Une structure comprennant un comité de direction |
Non-hiérarchie (horizontalité)
Selon l'anthropologue et activiste David Graeber, la non-hiérarchie fait référence à l’horizontalité; soit l’absence de division structurelle du pouvoir. Une division structurelle du pouvoir est visible dans l’existence de «boss», «coordination principale», «comité de direction», et de chartes. [2]
Faire autrement - Des groupes horizontaux trouvent des façons de développer des comportements cohérents sans une conception traditionnelle de «leader».
« Ces groupes ont au moins une division temporaire structurelle du pouvoir par des rôles (facilitation, senti, prise de tours de parole), mais ces rôle n’ont pas pour but d'offrir un plus grand pouvoir d’influence sur le contenu d’une décision - ils servent à guider le processus par lequel la décision est prise. » - David Graeber
Cet article se réfère au fait de tendre vers la non-hiérarchie et non pas de l’accomplir. L’expression «horizontalité» exprime cette réalité.
Non-hiérarchie et décentralisation
La définition de non-hiérarchie résonne avec la définition de décentralisation. La décentralisation décrit les conditions dans lesquelles les actions de nombreuses personnes sont cohérentes sont efficaces malgré le fait qu'elles ne reposent pas sur la réduction du nombre de personnes dont la volonté compte pour mener une action efficace. [3] C'est-à-dire que ces conditions permettent d'inclure la volonté du plus grand nombre de personne.
La décentralisation d'un groupe peut se faire de différentes manières, notamment par l'organisation distribuée.
Pour un grand groupe qui souhaite prendre des décisions clés ensemble (des décisions qui concernent tout le monde), la pratique de l'assemblée générale permet de centraliser la prise de décision avec une possibilité que celle-ci soit horizontale.
Organisation horizontale
L’organisation horizontale est une façon de s’organiser dans laquelle le pouvoir est réparti, décentralisé.
Si on décentralise le pouvoir structurel cela « implique nécessairement la centralisation (exprimée par des termes tels que coordination, cohérence, coopération) dans une autre dimension - qu'il s'agisse d'un protocole, d'un ensemble de règles, d'un produit ou d'un objectif collectif. » [4]
En effet, les groupes militants peuvent ne pas avoir de comité central pour les diriger, mais ils vont avoir des protocoles communs de communication et des techniques d'animation partagées.
Centralisation d'éléments malgré la décentralisation structurelle
Protocole |
Ordre du jour, rôles |
Techniques d'animation | Code Véronneau, code Morin, consensus formel, consensus modifié |
Ressources |
Locaux, argent, matériel de mobilisation |
Objectif |
Gel des loyers, grève générale, justice climatique |
Principes |
«Rien à propos de nous, sans nous», anti-oppression |
Tâches précises |
Comités de travail |
Ne pas confondre hiérarchie et leadership
Plusieurs groupes militants vont confondre hiérarchie et leadership. Le leadership n'entraîne pas nécessairement une hiérarchie comme l'on peut l'imaginer lorsqu'on pense à une personne leader avec un grand pouvoir.
Le leadership promu par Ella Baker, l'une des cofondatrices du Student Nonviolent Coordinating Committee, une organisation influente dans la luttes pour les droits civiques, est un leadership centré sur le groupe.
Ella Baker s'opposait au leadership hiérarchique qui prive de pouvoir les masses et donne davantage de privilège à des personnes qui en ont déjà.
Ce leadership s'exprime par le soutien aux développements des habiletés des autres membres afin qu'iels deviennent des leaders. C'est un leadership qui élève les membres et développe les capacités du groupe.
Qui est leader dans un groupe valorisant le leadership de groupe? Tout le monde tend à le devenir étant donné que le groupe a une culture de développement du leadership / des capacités des membres.
Considérations initiales sur la prise de décision et la non-hiérarchie
Un groupe peut se doter d'une hiérarchie structurelle avec le consentement des membres du groupe, comme un comité permanent, un comité directeur, etc. Toute de même, la tendance vers la non-hiérarchie peut être désirée au sein de ces groupes qui ont davantage de pouvoir (comité permanent, comité directeur) plutôt qu'au sein de l'organisation dans son entièreté.
Tout dépend des buts d'un groupe.
Ceux-ci peuvent concorder avec l'utilisation d'une structure davantage horizontale comme ils pourraient être réalisés avec une structure davantage hiérarchique.
Attention aux conséquences différenciées
Des personnes ne sont pas affectées de la même façon par les prises de décisions, de par l'existence des oppressions comme le racisme, sexisme, classisme, capacitisme, ... Ainsi, il importe de penser la prise de décision selon le principe «que chaque personne puisse contribuer à la prise de décision proportionnellement au degré auquel elle sera affectée par la décision».
Voir définition de l'intersectionnalité.
Exemples de décisions de groupes concernant la hiérarchie dans les prises de décision
Hiérarchie structurelle et intentionnelle |
Dans une perspective d'intersectionnalité, on peut vouloir donner davantage de pouvoir décisionnel à un groupe directeur (hiérarchie) composé de membres de groupes ou de communautés vivant plusieurs oppressions. Au sein de ce même groupe, des pratiques de prise de décision horizontale peuvent s'appliquer, bien qu'il y ait une hiérarchie dans le grand groupe. La hiérarchie présente ici est structurelle et intentionnelle. |
Horizontalité |
Dans un autre groupe, on peut choisir d'utiliser un modèle consensuel (horizontalité) afin de s'assurer que les voix des personnes de groupes minoritaires ou avec des positions divergentes soient incluses dans la prise de décision. Cette situation est plausible pour un groupe ne souhaitant pas fonctionner avec un comité ayant un pouvoir décisionnel plus important. |
Prise de décision horizontale
La prise de décision horizontale est liée à des relations interpersonnelles égalitaires par une prise de décision partagée entre les individus d’un même groupe. On prend une décision ensemble et les personnes ont un pouvoir égal dans la prise de décision.
La thèse «InterTwinkles: Online Tools for Non-Hierarchical, Consensus-Oriented Decision Making » établit 4 facteurs influençant la participation de personnes à la prise de décision. La participation et le pouvoir dans la prise de décision sont reliés : plus une personne est en mesure de participer activement à la prise de décision, plus elle a du pouvoir dans celle-ci.
Lorsqu'on souhaite que toutes les personnes puissent participer (et avoir du pouvoir) dans une prise de décision, il faut prendre en compte :
1- L'accessibilité
2- Les règles et protocoles
3- La culture du groupe
4- Les inégalités systémiques / structurelles
L'accessibilité
L'accessibilité concerne l'accès à l'espace (physique et symbolique) où les décisions sont prises.
S'informer sur les besoins des personnes concernées ou faisant partie de la prise de décision.
Mesures liées à l'accessibilité favorisant l'horizontalité
- Fournir une adresse courriel pour la réception des besoins (possible de dire que les messages doivent être envoyées X jours avant la réunion afin de permettre à l'équipe d'organisation de mettre en place les nouvelles mesures).
- Expliciter les mesures d'accessibilité mises en place.
Voir Rendre le militantisme plus accessible pour plus d'information.
Les règles et protocoles
Les règles et protocoles sont les codes sociaux liés à la participation aux prises de décision.
Certaines règles et protocoles permettent de pallier aux dynamiques de pouvoir présentes dans la société. Pensons aux classes dominantes qui bénéficient d'un pouvoir énorme sur le reste de la société, pouvoir qui n'est pas contrebalancé par le modèle électoral. Ou le pouvoir conféré aux hommes par le biais du patriarcat. Ou le privilège blanc.
D'autres règles et protocoles ont comme effet de renforcer les dynamiques de pouvoir de la société. Dans les deux cas, elles influent la participation aux prises de décision.
Les règles et protocoles engendrent parfois des dynamiques de pouvoir non-souhaitées. Les reconnaître permet de mieux y répondre soit en adaptant ses processus décisionnels, soit en les changeant.
Tyrannie de la majorité |
Une majorité du groupe appuyant une proposition permet l'adoption de celle-ci sans redevabilité aux autres membres (prise en compte des réserves, non-discrimination, etc.). |
Tyrannie de la minorité |
Surtout dans le processus décisionnel du consensus, lorsqu'une personne a le pouvoir de bloquer une proposition de par sa seule volonté. Droit de veto.
Voir dans la section sur le consensus comment éviter cette tyrannie de la minorité. |
Tyrannie du sans-structure (structurelessness) |
Dans un groupe sans structure formelle, les décisions sont prises selon des codes connus que par quelques personnes, ce qui concentre le pouvoir entre leurs mains. |
Règles et protocoles généraux favorisant l'horizontalié
Inspiré du document «Les Chef.fe.s : Comment s’en débarasser»
Leadership de groupe |
Avoir une culture de développement de leadership des personnes membres permet de partager le pouvoir et accroître le pouvoir d'agir d'un groupe.
|
Responsabilité des tâches |
Expliciter les responsables des tâches et limiter le nombre de tâches qui peuvent être prises par une même personnes. |
Information |
Créer des outils d’information collective. |
Duos |
Dans l’application de tâches, faire des duos afin qu’une personne soit formée par l’autre. |
Rotation |
Avoir des rôles rotatifs. |
Prise de parole |
Égaliser les prises de parole en réunion (tours de table, tours de parole, etc.). |
Coordination |
Avoir une personne dans un rôle rotatif de coordonnatrice en retrait qui a une vision globale. |
Processus décisionnel favorisant l'horizontalité : le consensus
Cette section se base principalement sur les ouvrage On Conflict and Consensus et Consensus for Cities de C.T. Lawrence Butler
Face aux 3 « tyrannies» présentées ci-haut, le consensus « est le processus de prise de décision le moins violent » d'après l'activiste cofondateur du collectif Food Not Bombs C.T. Lawrence Butler. Il rattache le consensus à la nonviolence. Pour lui, la nonviolence dans la prise de décision implique d'utiliser son pouvoir pour persuader sans utiliser la tromperie, la coercition ou la malveillance. On persuade avec la vérité, la créativité, la logique, le respect et l'amour. C'est aussi - et surtout, considérant le sujet abordé sur cette page- le processus décisionnel le plus démocratique. Démocratique dans le sens où il inclut le plus de personnes dans la prise de décision.
Un processus décisonnel, comme le consensus, répartit le pouvoir décisionnel parce qu'il...
- encourage la participation
- permet un accès égal au pouvoir
- développe la coopération
- promeut l'autonomisation
- crée le sens de responsabilité individuelle pour les actions du groupes.
Pages connexes
Modèle pratique : prise de décision en grand groupe (consensus modifié)
Modèle pratique : prise de décision en petit groupe (consensus)
Notions exclusives
Les notions exclusives comprennent l'attitude et les attentes du groupe envers les personnes membres. Elles vont exclure de la prise de décision les individus qui ne répondent pas à ces attentes.
Un groupe doit être conscient que ces notions exclusives écartent certaines personnes du groupes, de par leur identité et/ou les oppressions qu'elles subissent.
Véganisme |
Le souci du bien-être des animaux pourrait être une valeur partagée par les membres suffisamment forte pour qu'ils soient prêts à exclure les personnes qui veulent manger de la viande.
Cette valeur a l'effet capacitiste d'exclure les personnes ayant un régime particulier dans lequel elles doivent consommer de la viande. |
D'un autre côté, les notions exclusives peuvent avoir pour effet de cultiver le narratif et résister à la cooptation.
Exemples : être contre toutes les formes de discrimination, cultiver la communication non-violente, ... |
Les inégalités structurelles
Les inégalités structurelles sont la façon dont les inégalités systémiques sont reproduites au sein d'un groupe.
Pratiques liées aux inégalités structurelles favorisant l'horizontalité
Formation sur l'anti-oppression |
Un groupe formé sur l'anti-oppression pourra collectivement réagir aux inégalités systémiques en intégrant des mécanismes pour les contrer au sein de son groupe. Cela évite de mettre une charge sur les personnes de groupes marginalisés (qui restent au sein des groupes malgré les oppressions vécues) afin qu'elles « éduquent » leurs camarades ou créent des procédures « anti-oppressives » parce qu'« elles sont les mieux placées pour le faire ». |
Gardiennage du senti | Une personne gardienne du senti va soutenir le groupe dans la création d'un espace accessible et réellement horizontal. Elle va proposer des mécanismes servant à remédier aux rapports de pouvoir présents dans la société.
Ce rôle peut être accompli par la personne qui facilite. Or, dans le cas où la personne facilitatrice n'adopterait pas ce comportement, aucun contre-pouvoir n'existe afin de défaire les inégalités structurelles. La présence d'une personne au gardiennage du senti assure le remplissage de ce rôle.
Voir la page Comment intégrer un gardiennage du senti et de la sécurité sans tomber dans la surveillance? |
Ressources
Personnes militantes influentes sur cette question : Ella Baker, Joe Freeman, Jonathan Smucker, Barbara Ransby.
Les Chef.fe.s : Comment s’en débarasser
Résumé détaillé du livre On Conflict and Consensus par section
Thèse : InterTwinkles : online tools for non-hierarchical, consensus-oriented decision making
Si vous avez des corrections ou des ressources complémentaires à nous partager en lien avec ce contenu, vous pouvez contacter florencelehub@proton.me

- ↑ https://usito.usherbrooke.ca/d%C3%A9finitions/hi%C3%A9rarchie
- ↑ https://dspace.mit.edu/handle/1721.1/91432
- ↑ https://dspace.mit.edu/handle/1721.1/91432
- ↑ https://dspace.mit.edu/handle/1721.1/91432
- ↑ https://colorlines.com/article/ella-taught-me-shattering-myth-leaderless-movement/
- ↑ https://www.morningsidecenter.org/teachable-moment/lessons/celebrating-ella-baker-and-her-group-centered-leadership