Comment intégrer un gardiennage du senti et de la sécurité sans tomber dans la surveillance?

De Le Hub
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Cette page a été créée en réponse à une question qui a été soulevée lors de notre atelier sur la structure lorsque nous avons discuté des rôles que de nombreux groupes militants incluent dans leur structure. Trop souvent, les espaces d'organisation ne comptent pas de personne responsable de s'assurer qu'il y a un espace pour aborder les comportements qui perpétuent le pouvoir et reproduisent les normes dommageables. La prise de responsabilité est souvent laissée à aux personnes qui ont créé le préjudice (qui, le plus souvent, ne voient pas le tort causé et ne changent pas leur comportement) ou aux personnes qui ont subi le préjudice (qui peuvent se sentir inconfortables d'en parler).


Le gardiennage du senti et de la sécurité est un rôle inclus dans la structure de nombreux groupes. Il est voué à cultiver un espace accessible pour toutes les voix tout en encourageant les désaccords sains ainsi que l'inconfort. La mise en place de ce rôle et idéalement sa rotation garantit que la responsabilité de gestion de l'espace n'incombe pas aux même personnes marginalisées. Ce rôle peut aussi consister en une personne de soutien pour les personnes ayant causé du tort afin que celles-ci se sensibilisent et se responsabilisent.


Afin d'éviter de tomber dans un comportement de surveillance, tel que le contrôle du ton (tone policing) ou le fait de ne cibler que certaines personnes, nous avons créé un aperçu de sur quoi une personne au gardiennage du senti et de la sécurité doit concentrer son énergie et comment à la fois le gardiennage du senti et le maintien d'un espace pour l'inconfort peuvent coexister. Certains groupes utilisent d'autres termes pour définir un rôle similaire. Tout de même, la majorité s'intéresse aux mêmes types de comportements préjudiciables.


Cette page comprend: le type d'espace que l'on souhaite créer, ce sur quoi le gardiennage du senti et de la sécurité se concentrent, des comportements spécifiques qui imitent la culture de la suprématie blanche dans des rencontres, des stratégies qui n'isolent pas les gens et que faire si ces approches ne fonctionnent pas.



L'espace qu'on essaie de créer

Des personnes étudiantes marginalisées ont observé que lorsque les espaces sont créés pour le confort, l'inconfort est découragé, ce qui renforce les dynamiques de pouvoir actuelles et compromet la capacité à perturber l'inégalité au sein des groupes. [1]

Par conséquent, nous décrivons ce que les personnes au gardiennage du senti et de la sécurité s'efforcent de maintenir comme des espaces courageux (brave spaces) plutôt que l'expression « espaces sûrs » (safe space) communément utilisée.


Notre objectif en tant que personnes organisatrices pour la justice climatique devrait être de créer des environnements qui remettent en question les normes du capitalisme, du colonialisme et de la suprématie blanche, soit les moteurs de la crise climatique et les forces qui s'opposent à l'avenir vers lequel nous voulons travailler. S'efforcer de tenir des espaces courageux signifie que nous pouvons mettre en pratique les valeurs que nous voulons porter dans un avenir qui est juste.


Les espaces courageux présentent ces principes communs [2]  :

  • Accepter d'être en désaccord : les opinions différentes sont acceptées
  • Assumer ses intentions et les impacts de ce qui est dit : les personnes participantes reconnaissent et discutent des cas où un dialogue a affecté les émotions d'une autre personne.
  • Choisir le défi : les personnes participantes ont la possibilité d'entrer et de sortir des conversations difficiles.
  • Respecter les autres : les personnes participantes doivent respecter l'humanité de l'autre.
  • Pas d'attaques : les personnes participantes acceptent de ne pas se faire de mal intentionnellement.


Ainsi, les personnes au gardiennage du senti et de la sécurité doivent non seulement être attentives aux comportements que nous voulons modifier, mais aussi faire de la place aux comportements que nous ne manifestons peut-être pas, comme le fait de faire une pause pour susciter des conversations difficiles plutôt que de renoncer à toute forme de désapprentissage.

Les comportements ciblés

Le gardiennage du senti et de la sécurité cible certains comportements qui reproduisent la culture de la suprématie blanche (et des autres cultures oppressives). Le Centre pour les organisations communautaires (COCo) en identifie 5. [3]


  • Le perfectionnisme, incluant la glorification de l'écrit ainsi que la croyance qu'il y a «UNE bonne manière de faire les choses » et celle que c'est «l'un ou l'autre».
  • La concentration du pouvoir, y compris l'accaparement du pouvoir, le paternalisme et la défensive.
  • Le droit au confort, y compris la peur du conflit public
  • L'individualisme
  • «Le progrès est ce qui est le plus important»; le recours à l'objectivité; la quantité au détriment de la qualité et le sentiment d'urgence.


Et bien sûr, les comportements « évidents » (injures, humiliations, insultes, etc.). 


Les personnes au gardiennage du senti observent également les moments où l'espace peut être utilisé afin d'inviter l'inconfort et le conflit sain, tel que décrit dans la section précédente sur les « espaces courageux ».

Manifestations de la culture de la suprématie blanche (notamment) en rencontre

  • Parler plus que les autres, toujours devoir répondre aux commentaires.
  • Interrompre, empêcher les autres de compléter leurs commentaires et ralentir le fil de la discussion
  • Argumenter et débattre, en détournant l'attention des résultats de la collaboration et de la co-création pour mettre l'accent sur les points de vue et les opinions personnels.
  • Utiliser un vocabulaire que tout le monde ne comprend pas pour affirmer la supériorité de ses connaissances et marginaliser les personnes qui ne sont pas capables de s'exprimer en ces termes.
  • Affirmer son ancienneté, passer outre une décision de groupe en disant « c'est comme ça que nous allons faire ».
  • Paraphraser et reformuler les commentaires d'autrui d'une manière qui ne respecte pas le sens ou l'intention initiale ;
  • Harceler et insulter les autres membres du groupe, soit par des commentaires irrespectueux ou offensants, soit par des comportements plus passifs-agressifs tels que des roulements d'yeux et des soupirs exaspérés.
  • Pratiquer l'auto-écoute de façon fréquente: formuler une réponse après les premières phrases de quelqu'un, ne plus rien écouter à partir de ce moment-là et intervenir à la première pause.
  • Prendre certaines voix plus au sérieux que d'autres : accorder toujours plus de poids et d'autorité aux points de vue de certaines personnes ; ne pas écouter lorsque des femmes ou des personnes racisées prennent la parole.
  • Invisibiliser les personnes marginalisées : prétendre que le racisme, le classisme, l'homophobie, le capacitisme, etc. n'existent pas dans nos groupes plus « évolués ». En disant des choses comme : « Nous comprenons l'oppression, donc ce n'est pas un problème entre nous » [4] .


Un exercice de groupe utile peut consister à nommer les façons dont chaque membre du groupe détient du pouvoir et des privilèges, et à appliquer cette réflexion à la façon dont ce pouvoir peut s'exprimer dans les espaces de réunion. (Conseil : réaliser l'activité de la fleur du pouvoir lors d'une de vos rencontres pour amorcer ces réflexions. Cette activité permet d'illustrer nos identités sociales et les façons dont nous vivons le pouvoir, les privilèges et l'oppression de manière croisée [5] ). Faire cet exercice en groupe contribue à normaliser les conversations sur le pouvoir et, espérons-le, aidera les personnes à réfléchir de manière préventive à la façon dont elles peuvent contribuer à un environnement de groupe sécuritaire.


Nous devons également tenir compte, lors de réunions virtuelles et dans le cadre de ces réflexions de façon générale, du fait que certaines personnes doivent naviguer dans l'espace, le temps et d'autres facteurs (par exemple, le lieu, la vie privée, le travail de soins, la charge mentale) afin d'être pleinement présentes et participer activement.


Les personnes au gardiennage du senti et de la sécurité doivent demander aux membres du groupe quels sont leurs besoins en matière d'accessibilité afin d'encourager un sentiment de confiance et de sécurité chez toutes les personnes.


Par exemple, tout le monde ne sait pas comment taper rapidement, naviguer dans une interface informatique ou utiliser les commandes d'une réunion virtuelle. Les personnes aveugles, sourdes, malentendantes ou handicapées sont laissées de côté lorsque les besoins d'accessibilité ne sont pas pris en compte. Les personnes dont la langue maternelle diffère de celle qui est principalement parlée lors de la réunion peuvent également avoir du mal à partager leurs idées.


 Stratégies qui ne mettent pas les gens à l'écart

[6]

Rendre les espaces accessibles et offrir du support
Demander aux personnes participantes d'indiquer avant la réunion si elles ont besoin de traduction, d'interprétation ou de tout autre aménagement qui leur permettrait de participer pleinement et utilement. Prévoir un délai raisonnable pour que les personnes concernées puissent vous informer de leurs besoins et que vous puissiez y répondre. Fournir des versions hors ligne des documents de la réunion permet également aux personnes qui ne participent que par téléphone d'avoir une mise en contexte et une participation plus complètes. 
Communiquer régulièrement les consignes de participation: inviter chaque personne à participer avec respect et contribuer à créer un environnement inclusif et sécuritaire.
Voici quelques exemples de consignes...


  • Se concentrer sur l'écoute et l'appréciation de ce que les autres essaient de dire, et pas seulement sur ce que vous entendez.
  • Dans la mesure du possible, éviter - dans la mesure du possible - de faire plusieurs choses à la fois (en consultant vos courriels ou les médias sociaux) et efforcez-vous de rester pleinement présent et à l'écoute de ce que les autres disent et ressentent.
  • Présumer de la bonne intention de chacun dans vos commentaires et efforcez-vous de garder un ton constructif dans les vôtres.
  • Utiliser un langage simple et accessible. En particulier, évitez le jargon et les acronymes, afin que tous puissent participer pleinement.
  • En prenant la parole, faire une ou deux remarques, puis laissez les autres s'exprimer. Nous voulons que tout le monde puisse s'exprimer
  • Parler en son nom et au nom de son organisation en faisant des commentaires et utiliser le "je". Ne pas parler au nom de l'ensemble du groupe en utilisant le "nous".
  • Aider le groupe à respecter l'horaire et à rester à l'heure ; il faut prévoir que de nombreuses personnes auront beaucoup à dire et aider à faire avancer la discussion.
  • Si vous n'êtes pas en mesure d'utiliser ou de lever votre main, n'hésitez pas à prendre la parole, mais essayez de ne pas interrompre les autres.
  • Rester en sourdine lorsque vous ne parlez pas, faire attention aux bruits de fond et rejoindre l'appel depuis un endroit calme. Sauf exceptions (par exemple, les parents avec enfants, entre deux lieux de travail, etc.), le principe de la sourdine s'applique toujours.
Communiquer l'espace courageux que l'on souhaite créer


-Rappeler que l'apprentissage peut impliquer de renoncer à une ancienne pratique pour adopter une nouvelle façon de faire les choses. Cela peut impliquer de se lancer et d'engager une conversation même si l'on craint de se tromper. Il peut également s'agir d'accepter un retour d'information sur une insensibilité, une perspective non informée ou une micro-agression.


-Rappeler que participer à ces discussions sur l'inégalité peut signifier se sentir vulnérable, exposé, frustré, en colère. 


-Faire un rappel des 5 principes communs des espaces courageux (mentionnés plus haut)


-Faire une pause pour vérifier le ressenti afin d'évaluer comment les membres se sentent par rapport au fait de soulever des préoccupations, d'accepter l'inconfort et de travailler sur le conflit.

Créer des mécanismes de sécurité
Fournir des informations sur les canaux distincts par lesquels les personnes peuvent vous joindre ou contacter quelqu'un pour les aider si elles se sentent non respectées ou en danger. Pour les réunions plus importantes, fournir un numéro de téléphone, une adresse électronique ou un autre canal permettant d'obtenir une aide immédiate. 
Valider régulièrement d'autres formes de connaissances que les connaissances scientifiques, factuelles, ...
Les savoirs émotionnels/affectifs, expérientiels et ancestraux sont légitimes et puissants en association avec d'autres formes de savoir.
Prêter attention aux moments où il est préférable de s'éloigner de l'ordre du jour
Cela aide à répondre aux préoccupations sous-jacentes des individus 
Prendre en note les tours de parole (lorsque plusieurs personnes souhaitent s'exprimer)
La prise de note des tours de parole est une liste des personnes souhaitant intervenir en ordre chronologique de manifestation de ce désir de faire un commentaire ou d'apporter une contribution. Dans les réunions virtuelles, il est possible de demander aux personnes de laisser un * dans le chat. Faire savoir aux personnes qui participent par téléphone qu'elles peuvent couper le son et dire qu'elles souhaitent être ajoutés à la liste.'
Si une personne de la réunion est irrespectueuse ou prend trop de place...
Rappeler à l'ensemble du groupe les directives de participation ainsi que les résultats visés collectivement. Nommer le comportement problématique sans l'attribuer à un individu, par exemple : « J'entends quelques personnes qui s'interrompent, merci de faire preuve de respect et de collaboration, afin que nous puissions entendre tout le monde et réaliser les buts que nous nous sommes fixés ».  
Demander des commentaires sur le déroulement
Il est utile de demander de temps en temps comment les personnes vont et s'il y a quelque chose qui pourrait rendre l'espace plus sûr pour tout le monde. 

Lorsque ces approches ne fonctionnent pas...

Si la personne continue à agir de manière contre-productive ou pire, on peut s'adresser poliment à elle en l'appelant par son nom, en lui indiquant respectueusement ce qui a été observé et en lui demandant de contrôler son comportement, par exemple en l'invitant à « écouter activement », en lui rappelant à nouveau le désir collectif d'entendre tout le monde et atteindre les objectifs du groupe.


Si une personne continue à avoir un impact négatif sur la réunion, vous pouvez lui demander de partir, généralement avec un dernier avertissement.


Dans ce cas, il y a généralement une période de réflexion avant que la personne au gardiennage du senti et de la sécurité ne reprenne contact avec l'individu en question pour discuter des prochaines étapes.

Ressources

Petit livre mauve de l'ASSÉ



Si vous avez des corrections ou des ressources complémentaires à nous partager en lien avec ce contenu, vous pouvez contacter isabelle@lehub.ca.


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  1. http://www.designgroupinternational.com/leadership-and-learning-letters-blog/what-do-you-mean-brave-spaces-i-want-safety
  2. http://www.designgroupinternational.com/leadership-and-learning-letters-blog/what-do-you-mean-brave-spaces-i-want-safety 
  3. coco-net.org/white-supremacy-culture-in-organizations/
  4. coco-net.org/white-supremacy-culture-in-organizations/
  5. buildingcompetence.ca/workshop/power_flower/
  6. commonslibrary.org/power-dynamics-and-inclusion-in-virtual-meetings/