Mythe sur la « décarbonation »

De Le Hub
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Qu'est-ce qu'on entend par « décarbonation » ?

À part les climatosceptiques, tout le monde s'entend pour dire qu'il faut réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre (GES) le plus rapidement possible, puisqu'ils sont responsables du réchauffement climatique. Tout le monde... même les ministres. Depuis les années 2010, les mouvements écolos du soi-disant Québec ont forcé la classe politique à adresser les enjeux environnementaux.

Ainsi contraints, les politicien·nes et les industriels capitalistes ont développé une stratégie qui leur permet de faire semblant d'agir pour le climat, tout en protégeant leurs activités écocidaires. Au coeur de ces discours, on retrouve le concept de « décarbonation » : convertir l'ensemble des activités économiques actuelles vers des procédés qui rejettent peu ou pas de GES dans l'atmosphère. Pour y arriver, les dirigeant·es prônent l'augmentation massive de la production d'énergies renouvelables, sans toutefois prévoir la sortie des énergies fossiles. Il s'agit d'une stratégie de diversion et d'écoblanchiment : « simplement produire plus d’énergie renouvelable ne garantit d’aucune manière la sortie des énergies fossiles. » [1]

Comme on le verra, la « transition énergétique » et la « décarbonation » prônés par les élites politiques capitalistes ne sont en rien des plans de sortie des hydrocarbures. Ce sont simplement des discours trompeurs qui permettent de maintenir le capitalisme colonial, la spoliation des territoires autochtones et l'exploitation du vivant.


Cet article présente les contradictions entre les discours publics sur la « décarbonation » et les exigences techniques derrière la sortie des hydrocarbures. On constatera que les technologies de la « transition » (batteries, chars électriques, éoliennes, panneaux solaires, complexes hydroélectriques, etc.) dépendent elles-mêmes des énergies fossiles pour être produites. On examinera ensuite un cas similaire de « transition énergétique » prôné par les élites européennes au XIXe.


  • Quel est l'objectif d'apprentissage de ce texte?

Ce texte fait partie d'une série d'articles qui déconstruisent plusieurs mythes entretenus par les élites économiques et politiques et les minières sur leur projet de «transition énergétique». Celle-ci est propulsée à toute vitesse par les gouvernements, les lobbys et les instances internationales néolibérales, sous couvert de la protection de l'environnement. Cependant, il importe d'investiguer les enjeux logistiques et industriels derrière une telle « transition énergétique », ainsi que les réels intérêts en jeu.

Ces mythes servent bien entendu les intérêts du capital et de l'État, en légitimant la perpétuation et la croissance de l'industrie minière. Il importe de déconstruire ces mythes qui menacent les populations humaines et l'ensemble du vivant. Le but de cette série d'articles est d'offrir un contre-discours à cette propagande d'écoblanchiment menée par les forces capitalistes coloniales.


  • D'où proviennent les informations?

La plupart des informations qui figurent dans cet article proviennent du livre La ruée minière au XXIe siècle : Enquête sur les métaux à l'ère de la transition, publié par Celia Izoard en 2024, aux éditions de la rue Dorion. Cet essai est un compte-rendu d'une recherche exhaustive menée par la journaliste d'enquête Celia Izoard. 

À la fin de cet article, on retrouve les pages de ce livre qui sont citées. Les liens vers les autres ressources utilisées pour rédiger le mythe sont également intégrées à même le texte.


La « transition énergétique » nous sortira de la dépendance au pétrole.

La « transition énergétique », telle qu'elle est abordée par les États et les entreprises capitalistes, n'est en rien un plan de substitution des énergies fossiles. Elle débouche plutôt sur une addition énergétique, c'est-à-dire que l'industrie des énergies « vertes » connait une croissance exponentielle, mais pendant ce temps, l'exploitation d'hydrocarbures continue d'augmenter. Ainsi, les sources d'énergie renouvelables ne remplacent pas l'extraction de pétrole, de gaz et de charbon, contrairement à la promesse des élites capitalistes. En fait, ce qu'on observe, c'est que ces énergies se cumulent et croissent toujours. [1]

Évolution de la consommation mondiale d'énergie
Évolution de la consommation mondiale d'énergie

Les technologies de la « transition » reposent elles-mêmes sur les énergies fossiles.

Comme on peut le constater à la lecture du mythe « La mine zéro carbone existe », les mines qui fournissent les « métaux de la transition » ne peuvent elles-mêmes se passer des hydrocarbures. Plusieurs des opérations minières et industrielles nécessitent encore d'être alimentées par les énergies fossiles. Loin d'être carboneutre, l'industrie minière est ainsi responsable de 8 % des émissions carbone de la planète. [2] Comme l'explique Celia Izoard, la production des métaux et des technologies « de la transition » est indissociable des bons vieux pétrole, gaz et charbon :

« Les technologies minières reposent sur les énergies fossiles. Elles fonctionnent en symbiose.
Détruire les forêts tropicales du Brésil ou de l'Inde pour implanter des mines nécessite de gigantesques engins alimentés au pétrole. Les mines ont besoin de pétrole, de gaz ou de charbon pour fonctionner. Le traitement des concentrés métalliques fait appel aux hydrocarbures issus de la pétrochimie. La nitroglycérine servant à fracasser le sous-sol dans les mines est un dérivé du pétrole. Il faut extraire du charbon pour produire de l'acier. Le géranium des puces électroniques et de la fibre optique est un sous-produit de la production de charbon. Le recyclage de l'aluminium, métal indispensable pour alléger les véhicules électriques (alourdis par leurs batteries), ne peut pas se faire sans gaz.
Qu'il s'agisse de produire des métaux ou de les recycler, ces industries sont inextricablement dépendantes du gaz, du pétrole et du charbon. » [3]

Les « transitions » passées se sont soldées par des additions énergétiques.

Par le passé, cette stratégie discursive trompeuse a même déjà été employée pour légitimer l'expansion d'une autre source d'énergie... le charbon! 

Les transitions énergétiques au cours de l'histoire
Les transitions énergétiques au cours de l'histoire

Cette première « transition énergétique » a eu lieu vers la fin du XVIIIe siècle en Angleterre. La source d'énergie alors la plus utilisée était alors le bois. Or, les problèmes de déforestation devenaient de plus en plus évidents et la société civile appelait à se rabattre plutôt sur le charbon de terre pour diminuer la consommation de bois. [4] Le charbon, ayant été découvert depuis le XIe siècle en Chine, était pourtant très peu utilisé, et ce, jusqu'au XVIIIe siècle, à cause des émanations toxiques (dioxyde de souffre, oxyde d'azote, etc.) de sa combustion, qui polluaient et salissaient les alentours. Cela n'a pas empêché les experts et scientifiques de présenter le charbon comme une « énergie verte » dont il fallait « généraliser l'usage » pour protéger « nos forêts dépeuplées ». [5] L'Angleterre s'est donc lancée à fond dans l'extraction de charbon.

Comme on peut s'y attendre, au lieu de diminuer la consommation de bois, la développement des techniques minières utilisées entre autres pour extraire le charbon ont augmenté la coupe de bois. En effet, les mines à ciel ouvert nécessitent de raser d'immenses étendues forestières. Mais surtout, les chemins de fer ont d'abord été inventés pour optimiser le transport des minerais dans les mines. L'utilisation des trains s'est rapidement étendue dans le domaine du transport de personnes et de marchandises longue distance. Or, les rails des chemins de fer étant à l'époque construits en bois, la pression sur l'industrie forestière a monté en flèche. Il s'agit donc d'un cercle vicieux où l'exploitation de bois et de charbon se nourrissaient mutuellement. [6]

Si on résume :

1) La consommation de bois a causé des déforestations;
2) Le charbon a été exploité pour diminuer la consommation de bois;
3) Le boom minier du charbon a mené au développement des chemins de fer;
4) La construction de chemins de fer (entre autres pour faire fonctionner les mines de charbon) a fait exploser la consommation de bois.


Bref, cette « transition énergétique » du bois au charbon a mené exactement à l'effet inverse de ce qui était promu par les élites de l'époque. Elle a même permis le développement de l'exploitation du fer, laquelle a en retour permis de décupler les capacités d'extraction de charbon. [7]

Une deuxième « transition énergétique » similaire a été chantée au début du XXe siècle, lorsqu'on promettait de remplacer le charbon par le pétrole et l'électricité. Or, on constate qu'on consomme aujourd'hui plus de charbon qu'au siècle dernier. [8]


« L'histoire des transitions s'est révélée être une histoire d'additions. À la lumière de ce cette expérience, il est possible d'anticiper que la production en masse de métaux pour les technologies dites bas carbone ne fera pas baisser la consommation d'énergies fossiles. En tout cas, pas dans une économie inchangée, pas sans une réduction drastique de la production et des niveaux de vie. » [9]

Conclusion

Pour conclure, on a vu que :

  • On produit et on consomme de plus en plus de charbon, de pétrole et de gaz naturel dans le monde.
  • Dans l'histoire, toutes les « transitions énergétiques » ont mené à l'augmentation de la production de toutes les formes d'énergie.
  • Les technologies utilisées pour la « transition énergétique » actuelle ont besoin des hydrocarbures pour fonctionner.

Pour toutes ces raisons entre autres :

  • La « décarbonation » prônée par les classes politiques capitalistes ne nous sortira pas de la dépendance aux énergies fossiles.


Si vous avez des corrections ou des ressources complémentaires à nous partager en lien avec ce contenu, vous pouvez contacter bibliothecaire@lehub.ca.


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  1. Frédéric Legault, Arnaud Theurillat-Cloutier et Alain Savard. (2021). Pour une écologie du 99% : 20 mythes à déboulonner sur le capitalisme. Éditions Écosociété, pages 58-59
  2. Celia Izoard. (2024). La ruée minière au XXIe siècle : Enquête sur les métaux à l'ère de la transition. Éditions de la rue Dorion, p.56
  3. Ibid., p.204-205
  4. Ibid., p.202
  5. Ibid., p.203
  6. Ibid., p.203-204
  7. Ibid., p.251
  8. Ibid., p.204
  9. Ibid., p.204