Perspectives sur la libération autochtone lors de la conférence de Bandung du Nord 2024

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Cet article résume les idées clés articulées lors de la séance d’ouverture  de la conférence de Bandung du Nord 2024, qui s’est tenue à Montréal du 27 au 29 septembre.

Cette séance, intitulée « Penser la libération dans une colonie de peuplement achevée, et non achevée », s’est concentrée sur la question de la libération autochtone dans un contexte colonial de peuplement , que la colonisation soit quasiment « accomplie » comme au soi-disant Canada, ou en cours comme en Palestine.

Panélistes

Le groupe de personnes participantes à la table ronde comprenait :

Katsi’tsakwas Ellen Gabriel, militante autochtone de Kahnawake

Omar Barghouti, militant palestinien et cofondateur du mouvement BDS

Michèle Sibony, militante pro-palestinienne juive basée en France

Amzat Boukari-Yabara, écrivain et militant Martiniquais-Béninois

Les discours des panélistes portaient tous sur les effets du colonialisme de peuplement sur l’effacement des modes d’être autochtones, ainsi que sur la question de la libération des territoires occupés par les colon·nes. Voici deux points clés à retenir de la discussion.

Le colonialisme de peuplement mène à l’effacement des modes d’être et de savoir autochtones

The Scream (Le cri), oeuvre de Kent Monkman, artiste cri
The Scream (Le cri), oeuvre de Kent Monkman, artiste cri

Ellen Gabriel a souligné le rôle de l’éducation dans l’effacement des peuples autochtones. L’expérience historique réelle des peuples autochtones n’est pas connue par la plupart des colon·nes, car elle n’est pas enseignée dans les écoles. Pour comprendre ce qu’est la décolonisation, il faut d’abord connaitre l’histoire de la dépossession et de l’impérialisme que les peuples autochtones ont subie. Comprendre cette histoire vous montre que le système canadien n’est pas une démocratie et ne garantit pas la liberté. Pour Gabriel, la vraie liberté est l’autodétermination, ce qui signifie trouver comment nous pouvons préserver la terre. Gabriel a ajouté que les petits territoires auxquels les terres autochtones ont été réduites ne sont pas suffisants pour la survie des peuples autochtones.

Couverture du guide de valorisation de la langue anicinabe créé par Minwashin
Couverture du guide de valorisation de la langue anicinabe créé par Minwashin

Reliant la liberté à la préservation et à l’épanouissement des modes de connaissance autochtones, Gabriel a réitéré que l’autodétermination est nécessaire à la survie des peuples autochtones, pour éviter qu’ils ne deviennent qu’une vague mention dans les annales de l’histoire. Elle a affirmé que les langues autochtones sont importantes parce qu’elles permettent aux peuples autochtones de renforcer leur identité et de se donner force et pouvoir. Malheureusement, on prévoit que seules 3 langues autochtones survivront à ce siècle. Gabriel a déclaré que les peuples autochtones doivent raviver le contrôle qu’ils avaient autrefois, de la même manière qu’ils essaient de raviver le rôle que les femmes autochtones ont joué dans la survie de leurs communautés et de leurs langues. Elle a décrit comment les femmes autochtones utilisent des magazines et découpent des images pour que les enfants autochtones apprennent leur langue.


Omar Barghouti a tiré des parallèles avec les siècles de déshumanisation et d’assujettissement du peuple palestinien par les Européens. L’effacement matériel du peuple palestinien et de leur territoire conduit à un effacement épistémique et culturel, car on ne peut pas être coupable pour la destruction de quelque chose qui n’existe pas. Barghouti fait remonter cette politique à la doctrine de la découverte, qui considérait les peuples autochtones comme inférieurs ou inexistants.

Gabriel a souligné que l’effacement des modes d’être autochtones est remplacé par le sentiment de droit à l’occupation des terres autochtones que les colon·nes s’accordent. Elle a dit que le gouvernement canadien ne veut pas que les colon·nes sachent que l’entièreté du Canada est une occupation d’État et que les colon·nes n’ont pas le droit d’être sur ces terres. Ce droit appartient aux peuples autochtones. Elle a déclaré que les colon·nes doivent comprendre que leur prospérité est le résultat du génocide des peuples autochtones sur ces terres. En revanche, la prospérité des peuples autochtones dépend entièrement de l’État occupant.


Gabriel et Michèle Sibony tous deux ont évoqué le rôle que joue le pouvoir de désigner le nom des lieux publics dans l’effacement culturel des peuples autochtones. Sibony a précisé que de nombreux endroits en Palestine ont perdu leur nom d’origine au cours de la colonisation israélienne et que, sans traces, les gens n’ont aucune idée de l’histoire de leur terre. Gabriel continue en soulignant que le changement de nom des rues de ce qu’on appelle Montréal avec des noms kanienʼkéha était important pour que les gens connaissent l’histoire et apprennent à prononcer les mots kanienʼkéha. Amzat Boukari-Yabara a aussi parlé de la façon dont la révolution haïtienne a restauré le nom original d’Haïti sur le territoire connu sous le nom colonial de Saint-Domingue, décrivant cela comme un acte fondamentalement décolonial.

Changement du nom de la rue Amherst par Atateken
Changement du nom de la rue Amherst par Atateken

Boukari-Yabara a également parlé de la destruction et de la création de la culture en contexte de colonialisme de peuplement. Il a déclaré que le colonialisme de peuplement est souvent réalisé par la destruction culturelle, par laquelle l’occupant s’approprie la culture de l’occupé en effaçant l’occupé lui-même. En même temps, il a souligné que les produits culturels sont aussi des produits de lutte qui ont une dimension politique, en prenant comme exemples la négritude et la créolisation en Martinique.

La décolonisation exige l’autodétermination, la restitution des terres et la participation active des colon·nes

Ellen Gabriel a rappelé que la décolonisation est une question de respect de la nature et doit impliquer le rapatriement des terres des peuples autochtones. Les peuples autochtones ont vu leurs terres leur être enlevées jusqu’à ce qu’il n’en reste presque plus rien, et c’est pourquoi la restitution des terres est si importante. Gabriel a souligné que les personnes militantes autochtones ne veulent pas expulser les colon·nes de leurs maisons, mais en même temps, les peuples autochtones ont droit à l’autodétermination en vertu des lois internationales sur les droits de la personne. Il s’agit d’un droit de contrôler ce qui se passe sur leurs terres natales et leurs territoires, dans leurs écoles et la société en général.

Blocage de 1492 Land Back Lane
Blocage de 1492 Land Back Lane

Michèle Sibony a cité un texte d’Omar Barghouti disant que l’autodétermination s’applique aux peuples autochtones, et non aux colon·nes. Quant aux colon·nes, il ne reste plus que l’expulsion ou l’intégration éthique, et l’intégration éthique n’est possible qu’avec la fin du sionisme. Elle a souligné que, dans les exemples de l’Algérie, de l’Afrique du Sud, de Kanaky (Nouvelle-Calédonie) et de la Palestine, les organisations de libération autochtones n’appelaient pas à l’expulsion des colon·nes, mais à l’égalité. Ainsi, la libération autochtone a toujours posé la question du partenariat avec les colon·nes.

Gabriel a affirmé que les peuples autochtones veulent prospérer, pas seulement survivre, et que dans cette perspective, les colon·nes devraient être leurs allié·es et non leurs ennemi·es. Mais tant que l’histoire génocidaire du Canada n’aura pas été enseignée, le progrès serait impossible et les peuples autochtones continueront de résister avec des barrages. Lorsque les peuples autochtones prennent les armes pour se défendre, c’est parce qu’il n’y a plus d’options. Elle insiste sur le fait que les colon·nes doivent faire pression sur les dirigeant·es politiques canadien·nes pour qu’iels changent leur relation avec les peuples autochtones.

De la même manière, Omar Barghouti a déclaré que la violence ne commence jamais dans le camp des opprimé·es. Le moment où vous choisissiez de commencer votre chronologie est important dans l’étude des personnes opprimées. Avant le 7 octobre, Israël avait intensifié les agressions contre la population palestinienne pour les forcer à se rendre, de sorte que la situation doit être comprise dans le contexte de l’apartheid. Puisque l’oppression est la racine de la violence, nous devons mettre fin à l’oppression. Il a déclaré qu’en tant que peuple autochtone, le peuple palestinien a une position éthique élevée dans le conflit génocidaire auquel il est confronté avec Israël, mais qu’il a besoin du pouvoir collectif que les gens du monde entier peuvent aider à construire.



Amzat Boukari-Yabara a fait des remarques similaires, affirmant que l’élément fondamental de la libération de la Martinique concerne la concentration de la propriété foncière. Les colon·nes ont pris la totalité du territoire à leur arrivée au 17e siècle, et cet héritage demeure aujourd’hui entre les mains de la petite classe de propriétaires terrien·nes de la Martinique, connu·es sous le nom de békés. Il a souligné que la population martiniquaise dépend entièrement d’un gouvernement dominé par des responsables politiques blanc·hes originaires de la France hexagonale, ayant exercé dans la fonction publique en Martinique. Cela engendre une situation où la lutte pour l’indépendance pourrait aboutir à une indépendance toujours dominée par les élites héritières du colonialisme. Boukari-Yabara a affirmé que la question centrale reste inchangée : qui prend les décisions ? Il a cité la figure politique martiniquaise Pierre Aliker en disant que les meilleur·es spécialistes de la Martinique sont les Martiniquais·es elleux-mêmes, et que c’est dans cette optique que doit se poser la question de l’autodétermination.

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